De Mopti (Mali) à Dakar.
Mopti : une des plus belles villes que
nous ayons visitées au Mali.
Située au confluent du Niger et du Bani, la
cité est cernée d'eau de toutes parts. Nous avons eu la chance de pouvoir
accéder à la terrasse d'une des plus hautes maisons du centre – ville et
de pouvoir embrasser du regard les centres névralgiques de la Venise
Malienne : le marché, la mosquée, le port et les pinasses sur le
Niger. Redescendus de la terrasse, un dédale de ruelles ombragées forme
une sorte de médina qui tranche avec les villes que nous avons visitées
jusqu'à maintenant. De plus, la présence du Niger, dont le bassin a vu se
faire et se défaire les grands empires du Mali renforce le caractère de
la ville. Enfin, Tombouctou est à quelques jours de pinasse : le
mythe n'est pas loin. Cependant, fidèles à nos vélos et surtout ne nous
sentons pas le courage d'affronter le soleil frappant les embarcations
pendant 4 jours, nous ne nous rendons pas dans l'ancienne capitale
intellectuelle et commerciale.
En fait, le projet de poursuivre le périple
à vélo après Bamako commence déjà à mûrir dans nos esprits. Nous sommes
le 27 janvier et la carte n'indique ni attraits majeurs (sauf Djenné), ni
dénivelés importants : du goudron pendant 650 km. 7 jours dont 1 de
repos : le jour de la Tabaski (fête du mouton). Nous dégustons
l'animal chez Vincent et Oumar : un agriculteur français associé à
un malien dans l'exploitation d'une ferme. La Tabaski (au village) peut
se résumer ainsi :
Chacun revêt son plus beau et plus éclatant
boubou (hommes, femmes, enfants), les hommes vont prier une trentaine de
minutes sur la place du village (pas de mosquée). A la fin de la prière,
une ambiance de joie et de plénitude règne : tout le monde se
souhaite la bonne année (musulmans et non musulmans). Puis, chacun
retourne chez soi pour « faire sa fête au mouton ». Car c'est
vraiment lui, le cœur des festivités. Le mouton est choisi sur le marché
au bétail le plus réputé, à la première ou à la dernière minute suivant
le porte- monnaie du futur acquéreur. Un des critères de qualité étant la
blancheur du pelage, les bêtes ont souvent le droit à un shampoing au
liquide vaisselle. L'égorgement est fait par un spécialiste. On espère
que le sang qui va couler sera d'un rouge bien vif et abondant, que la
lame ne va pas se dérober…etc. Tous ces paramètres conditionnent la
qualité de la viande mais sont surtout de bonne augure ou pas pour
l'année qui va suivre. On mange le foie à l'apéro (la première pièce à
être cuite), le reste de la bête est servi avec un grand plat de riz.
Nous mangeons dans un plat commun. Quelques frustrations à noter durant
le repas : toujours veiller à ne pas empiéter sur la part virtuelle
(imaginée) des deux voisins ; toujours veiller à ne pas se servir de
la main gauche (si vous avez un musulman à votre table) ; éviter de
se retrouver le dernier à piocher dans le plat pour ne pas apparaître
comme le plus «morphale ». Mais ces frustrations ne doivent bien sûr
leur existence qu'à l'excellence du mouton de la Tabaski.
Suivant la richesse et/ ou le nombre de
convives, le mouton est terminé le soir même ou le lendemain mais il
survit rarement aux trois jours que dure la fête. En résumé, le pagne et
la coiffure durent plus longtemps que l'ovin. Voilà, la Tabaski, ce n'est
pas seulement les 200 morts que l'on dénombre à La Mecque chaque année,
événement que nous relate la télévision et qui nous rappelle :
« Ah tiens, aujourd'hui, c'était la fête du mouton ».
Suite à la Tabaski, c'est le bon moment de
demander l'hospitalité dans les villages. La fête peut se poursuivre
encore quelques jours suivant la richesse des familles comme dit plus
haut. Deux jours après, nous avons encore la chance de voir notre tô
(pâte de mil) agrémenté de viande (rare).
La route Mopti – Bamako constitue un axe
économique important au Mali. Des villes avec ou sans électricité
ponctuent la traversée. Quasiment chaque gros village a son forage d'eau
potable financé par l'Arabie Saoudite (après Bamako, ce sera plutôt
l'Inde). Malgré le « confort » qu'offre une route bitumée au
Mali (nombreuses possibilités de restauration pour les voyageurs :
principalement des routiers et des commerçants), le trajet est assez
monotone, le paysage peu varié : une brousse d'épineux buissonnants
alternée avec mangueraies et cultures. Le relief est inexistant sauf aux
abords de Bamako. Après 7 jours, nous arrivons dans la capitale assez
fatigués par ces 650 km qui nous apparaissaient au départ comme une
formalité cyclo – touristique. Mais la distance est là et les jambes l'ont
bien sentie.
A Bamako, nous logeons dans une famille. Ils
nous reçoivent comme des rois, nous font goûter à la cuisine de leur
ethnie (les Songhai : Nord Mali, de Tombouctou à Gao) et nous
permettent de savourer un peu de repos au sein de la métropole malienne.
Bamako ne sera pour nous qu'une étape de deux jours car nous avons pris
notre décision. Nous allons rallier Dakar à vélo. Du fait des mises en
garde sur la nature du terrain et sur l'état de la voie entre Bamako et
Kayes (600 km), nous enfourchons nos montures, impatients de nous mesurer
à un nouvel environnement.
Car peu de temps après Bamako, nous
pénétrons dans la partie la plus sauvage du Sahel occidental (la moins
peuplée en fait). C'est la fin du goudron, la fin des cyber – cafés, la
fin des oranges…Cette région est peu occupée par l'homme donc peu
cultivée, et la forêt est ici préservée. Cet espace peu dégradé, traversé
par le Bakoy et le Bafing (les deux cours d'eau qui se rejoignant à
Bafoulabé, donnent naissance au fleuve Sénégal) est pour nous synonyme de
nouvelles sensations. En effet, la forêt se révèle odorante et bruyante
(criquets et oiseaux assourdissants). Depuis un mois, la steppe ne nous
avait offert que le spectacle d'une nature minérale, statique, en
hibernation, comme dans l'attente des prochaines gouttes de pluie pour
revivre.
Comme à l'accoutumée, les villageois nous
accueillent à bras ouverts. Dans un village au sud de Kita (en allant
vers le lac de Manantali), nous demandons à être présentés au chef dans
le but de passer la nuit. A notre étonnement, on nous répond :
« ici, pas de protocole, pas besoin d'autorisation du chef, je vais
vous indiquer la « case des voyageurs » où vous pourrez
installer votre campement ». Cette indépendance alliée à la
protection qu'offre le village nous convient parfaitement. Nous montons
notre tente, engloutissons nos spaghetti sauce Jumbo (le cube Maggi local
qui fait des miracles) puis nous nous apprêtons à nous coucher quand
soudain, un plat de couscous fait son apparition. Malgré les spaghetti,
nous nous efforcerons de faire honneur au plat servi et à cette nouvelle
forme d'hospitalité « sans protocole »!
Quelques jours plus tard, dans un village
perdu au milieu de massifs gréseux, entre Kayes et Kéniéba, on nous
servira de la papaye en entrée et du riz en plat principal.
« Recadrons » : le prix d'une papaye équivaut à celui de
deux repas. Le riz (importé) est ici un plat de luxe qui ne remplace
qu'exceptionnellement le mil. Encore une fois, de part notre statut
d'étranger / invité, ces gens qui n'ont presque rien nous ont donné
presque tout (relativement à leur cadre de vie).
Nous donnons peut-être l'impression d'être
un peu obsédés par la nourriture mais cette dernière a une autre valeur /
dimension que dans nos pays riches. Nous sommes en 2004, des famines
sporadiques ont encore lieu au Mali. On parle encore ici d'agriculture de
subsistance.
D'autre part, l'alimentation a aussi pour
nous, voyageurs à vélo, un rôle capital : elle nous permet de rester
en bonne santé et de « bicycler».
Nous approchons de la frontière du Sénégal,
la largeur de la piste est telle qu'on peut difficilement la qualifier de
route. Elle ressemble plutôt à un sentier de chèvres corse. Les 35 km que
nous avions à parcourir nous paraissent interminables. Les marigots se
succèdent mais le village frontière de Satadougou n'est toujours pas en
vue. Dans un village, on nous apprend qu'il y a en fait deux
Satadougou : Satadougou - Mali et Satadougou – Sénégal. On nous
apprend aussi que l'on est sur la route d'aucun d'eux. L'instituteur du
village prend alors les choses en main et nous rédige un mot :
« je soussigné,…, chef du village de Tchoudougou autorise M et Mme
…à s'adresser au chef du village de Bouryega et à lui demander le chemin
pour se rendre à Satadougou – Sénégal. Fait le …à Tchoudougou
(Mali) »
Un gamin est réquisitionné pour nous servir
de guide. Le gosse nous fait traverser les champs de coton par un
labyrinthe de sentiers qu'il connaît par cœur. Soudain, une masse de
verdure apparaît, le gosse stoppe sa bicyclette. Nous y sommes, c'est le
fleuve Falémé ; de l'autre côté : le Sénégal. Au milieu du
cours d'eau, des chercheuses d'or secouent et scrutent des calebasses
remplies d'alluvions. Le Falémé atteint ici 80 cm de profondeur. Or nos
sacoches avant sont presque au ras du sol. Bien qu'elles soient garanties
« waterproof », nous passons le fleuve – frontière en 4 aller –
retour transportant tout à tour nos bagages et nos vélos.
Au Sénégal, nous apprécierons la traversée
du Parc National du Niokolo Koba. 100 km sans aucune habitation. Un poste
de contrôle de gardes du parc au km 50 pour seul trace de civilisation
(en dehors de la route bitumée sur laquelle nous évoluons). Des babouins
« aboient » à notre passage, des mouches tsé-tsé nous suivent à
20 km/h (insecte très compétitif). Tout un programme.
A Tambacounda, nous retrouvons la
civilisation, les routes truffées de nids de poules entre lesquels des
semi – remorques tentent de zigzaguer, l'électricité (et donc les jus de
bissap glacés et les cocas frais).
460 km puis Dakar, ville dans laquelle nous
allons achever de parfaire notre maîtrise du pilotage de vélo.
Dakar marque la fin de notre traversée de
l'Afrique de l'Ouest à bicyclette : Bénin, Burkina Faso, Mali,
Sénégal. 4200 km. Bientôt, l'envol pour Paris, la ville où les gaz
d'échappement sentent bons et où on se plaint des crottes de chien en
oubliant que l'on a de la chance d'avoir des trottoirs…
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